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Extrait roman AURA MANES

Chankoowashtay descend du bus pour rejoindre une terre labourée de piétinements. Certains fêtards, n'ayant pas retrouvé le chemin de leur tente, finissent leur nuit étalés contre celle des autres. L'indien parcourt tranquillement le terrain au bout duquel se tient une grande scène et reconnaît une fille en train de démêler sa tignasse entre ses doigts.

Ce matin, la petite brune trimballe la tête de quelqu'un qui n'a pas dormi dans le confort de son lit. Le maquillage noircissant ses paupières est à moitié effacé. Robine n'est clairement pas le genre de minette débraillée à qui on peut tendre un bouquet sans craindre de se retrouver avec les dents fleuries. D'ailleurs, le manque de délicatesse dont elle est capable peut atteindre un stade rare pour une fille. Chank a déjà eu l'occasion de constater son inclinaison virulente pour l'égalitarisme souvent mal interprété. C'est ce qui arrive lorsque l'on discourt en cultivant le sarcasme et le langage cru. On passe pour une machiste aux ovaires rageuses vomissant sur les féministes.

« Chank ! » s'écrie-t-elle en finissant de ramasser ses cheveux en une demie-queue de cheval bancale. « Tu cherches quelque chose ?

- Je m'attendais à trouver Mat pour tout dire. Il ne devait pas participer aux lives ?

- Il a retiré son groupe de la liste des participants. »

Un moteur ronflant soudain à proximité leur fait tourner la tête vers une bagnole rouge. Elle vient se garer sans la moindre gêne devant l'entrée d'une tente. Chank recrache sa fumée de cigarette par les naseaux et lance un œil exaspéré aux asperges rousses qui en sortent. Il s'agit des deux sœurs avec lesquelles bosse Robine. Un duo de harpies prêtes à cancaner au moindre pet de travers.

J'espère que les autres ne vont pas tarder, songe le sioux en les voyant approcher.

Des cheveux blonds cendrés pointent en épis entre un bras et un coussin. Fidèle à sa réputation, Mat dort encore. Le plaid confectionné par Blanche qui lui sert de couverture ne couvre plus grand-chose et les doubles rideaux mal croisés font un piètre barrage au jour. Son pied s'étire dans le vide.

 

Autant vous prévenir dès à présent, ce blondin hirsute, soupçonné de ne pas dépasser un mètre soixante-dix une fois tondu, n'est clairement pas le genre de gars à bénéficier d'un fan club grouillant. Cultiver la popularité n'a pour ainsi dire jamais été une priorité. Et à moins d'être suffisamment intime pour comprendre ce que cache son masque renfrogné, nombreux sont ceux à le trouver aussi irritable qu'irritant. Dans un sens comme dans l'autre, difficile de leur donner tort.

Mat a grandi aigri. Une accumulation de frustration affective et de mimétisme social forcé qui n'a pas fonctionné. Ça et son mépris des adultes qui vous prennent de haut, cherchent à vous apprendre comment tourne le monde et la façon dont on doit interagir avec. Mat à compris trop tôt que les adultes ne sont jamais d'accord et passent leur temps à vouloir se convertir entre eux. Au final, ce gavage d'interprétations n'aura servi qu'à le cloisonner sur lui-même par réaction d'auto-défense. Et le pire de tout, c'est qu'il a appris à le faire avec le sourire. Il est comparable à un hérisson mal luné qui prend un malin plaisir à frotter ses piquants en passant trop près des autres.

À près de vingt-quatre ans, Mat est ainsi devenu un caractériel introverti se parant d'une grande gueule. Le genre de grande gueule à balancer de grosses vérités pour mieux cacher les petites, autrement dit celles qui touchent à sa sensibilité enlisée. Ce qui ne l'excuse en rien, entendons-nous bien.

 

Des pieds potelés débarquent sans chercher à se faire discrets. Leur propriétaire ramasse le deuxième coussin errant sur la moquette. Il repousse ensuite les jambes du squatteur chronique pour s'asseoir dans son canapé, un bol de céréales en main. En dehors des boucles qui lui couvrent le front, les tifs brun chocolaté de Julien sont si épais qu'ils vrillent vers le plafond. Son nez épaté s'enfonce dans son bol jusqu'à de grands yeux marrons irisés de gris et abrités par des sourcils touffus.

Tout à l'opposé du pionceur, Julien est un extraverti que la curiosité a tendance à pousser au bavardage intempestif. Il aime chouiner pour le plaisir d'attirer l'attention, questionner les muets, se mêler de ce qui ne le regarde pas et, par extension, adore potiner avec le troisième âge. Les vieux grabataires, ceux que la vie a mis au rebut, ceux qui passent tristement leurs journées assis sur une chaise, la ride basse et la cornée humide, à attendre qu'une bonne âme, n'importe laquelle, le plus souvent la femme de ménage, ait la charité de bien vouloir se rappeler un peu leur foutue existence !

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